Edito
L'intelligence artificielle (IA), et plus particulièrement l'IA générative (GenAI), suscite un intérêt croissant tant chez les entreprises que chez les consommateurs. Pour les assureurs, ces technologies optimisent des processus cruciaux tels que la gestion des sinistres et la souscription. L'IA permet d'améliorer l'efficacité opérationnelle et aide à pallier le manque d’expertise, résultant de la disparité entre les départs et les nouvelles recrues dans le secteur. Ces outils puissants offrent aux assureurs une vision d'ensemble, facilitent la prise de décisions éclairées et contribuent à réduire les ratios combinés.
Cependant, ces mêmes technologies, tout en apportant des avantages indéniables, engendrent également de nouveaux risques. Des acteurs malveillants exploitent en effet l'IA et l’IA générative pour concevoir des schémas de fraude innovants, rendant ainsi les fraudes existantes plus difficiles à détecter. Grâce à des outils accessibles, les fraudeurs peuvent créer des photos, des documents et d'autres éléments de "preuve" pour établir des polices illégitimes et soumettre des demandes d'indemnisation falsifiées. Nous entrons dans l'ère du « faux en assurance ».
Dans cette nouvelle édition de Shift Insurance Perspectives, nous examinerons comment l'IA et l’IA générative sont utilisées pour propager la fraude digitale dans le secteur de l'assurance. Comment la volonté d'offrir une gestion simplifiée aux clients et de réduire l'intervention humaine a-t-elle favorisé l'essor de la fraude ? Quels sont les nouveaux stratagèmes numériques et comment exploitent-ils les failles des stratégies de lutte contre la fraude ? Où l'IA et l’IA générative sont-elles détournées par des acteurs malintentionnés ? Et surtout, comment les assureurs peuvent-ils tirer parti de ces technologies pour lutter contre la fraude à la souscription et aux sinistres ?
Nous tenons au passage à exprimer notre gratitude envers les nombreux collaborateurs de Shift qui ont contribué à la rédaction de ce rapport.
La fraude à l’assurance en réseaux organisés
Les consommateurs ont accueilli avec enthousiasme l'adoption des avancées numériques par le secteur de l'assurance, inspirées par leurs expériences dans le commerce en ligne et mobile. Malheureusement, cette évolution a également attiré des acteurs malveillants. La possibilité de demander un remboursement en ligne, sans intervention humaine, a permis aux assurés d'acheter une assurance de manière aussi simple que n'importe quel autre produit. L'utilisation de portails ou d'applications en ligne a rendu le processus rapide et efficace, tout comme les initiatives de traitement direct et sans contact. Pour les assureurs, cela a libéré du temps pour se concentrer sur des demandes et des sinistres plus complexes, nécessitant leur expertise.
Cependant, la réduction du facteur humain dans la souscription et les demandes d'indemnisation a ouvert la porte à de nouvelles opportunités de fraude à grande échelle. De nombreux stratagèmes reposent sur l'utilisation d'identités volées et de documents falsifiés pour obtenir des contrats d'assurance illégitimes. Prenons l'exemple d'un réseau de fraude récemment identifié par Shift, qui a généré 146 nouvelles polices d'assurance en six mois, couvrant des véhicules de grande valeur, tous associés à des conducteurs sans antécédents de fraude connus. En réalité, l'assureur a dû faire face à plusieurs réclamations de tiers liées à ces polices, entraînant des coûts s'élevant à plusieurs centaines de milliers d'euros. Cet exemple illustre l'importance de l'IA dans la lutte contre la fraude numérique.
Dans ce contexte, l'identification des entités frauduleuses grâce à l'IA est essentielle pour détecter un réseau de fraude avant qu'il ne cause des dommages significatifs. L'analyse des données relatives aux polices et aux sinistres permet de repérer des similitudes dans les informations fournies, souvent invisibles lors d'un examen individuel. Une fois ces connexions établies, les assureurs peuvent agir contre le réseau, en examinant automatiquement les sinistres associés, en ne renouvelant pas les polices concernées et en scrutant les demandes suspectes.
Détecter les fausses déclarations
Les fausses déclarations sont un fléau auquel les assureurs font face depuis longtemps. Pour obtenir de meilleures primes, certains demandeurs peuvent être tentés de fournir des informations inexactes sur eux-mêmes, leurs véhicules ou leurs biens. Cela peut aller de la sous-estimation du kilométrage annuel à l'omission de l'utilisation professionnelle d'un véhicule. Ces incohérences, bien que mineures, peuvent entraîner des pertes financières considérables.
Mais que se passe-t-il lorsque ces fausses déclarations se multiplient ? Les pertes peuvent devenir exponentielles. Shift a observé comment des entreprises malhonnêtes exploitent ce phénomène. Par exemple, une seule adresse dans un quartier prisé était associée à plus de 10 véhicules, tous déclarés à usage personnel, alors qu'en réalité, aucun d'eux n'était effectivement localisé à cette adresse et tous étaient utilisés à des fins professionnelles. Si cette fraude n'avait pas été détectée, l'assureur aurait risqué de perdre des dizaines de milliers d'euros en coûts de sinistres.
Les fausses déclarations, qu'elles soient individuelles ou en réseau, sont facilitées par la transition vers des interactions numériques, mais peuvent être détectées grâce à des solutions d'IA. Ces technologies permettent d'analyser les demandes et les polices à la recherche d'informations partagées, comme des numéros de téléphone ou des adresses électroniques. En intégrant des données tierces, telles que des dossiers commerciaux ou des informations issues des réseaux sociaux, il est possible de mieux comprendre la véritable nature du risque.
Le numérique, allié du courtage fantôme
Le courtage fantôme peut impliquer des agents agréés qui vendent des polices sans assurer les assurés, ou des "agents" non agréés proposant des polices frauduleuses. Nous nous concentrerons ici sur ce dernier cas. Cette escroquerie cible particulièrement les personnes à la recherche d'assurances bon marché ou dont les primes sont influencées par divers facteurs. La capacité des fraudeurs à manipuler numériquement les documents a conduit à une augmentation de ce type de fraude.
Un exemple récent en Italie illustre les méthodes des courtiers frauduleux. Des criminels ont utilisé des identités volées et des personnes décédées pour acheter des polices à bas prix via de fausses déclarations, qu'ils ont ensuite revendues à des consommateurs peu méfiants. De faux documents de vente donnaient l'illusion que le véhicule assuré appartenait au nouvel assuré. En cas de sinistre, le courtier disparaissait, laissant l'assureur gérer la demande d'indemnisation.
Le coût pour les assureurs en Italie a été estimé à plus de 700 000 €, avec 274 personnes soupçonnées d'être impliquées. Au Royaume-Uni, Shift a également découvert des réseaux de courtiers fantômes comptant jusqu'à 400 polices d'assurance, représentant un risque financier considérable.
Comme pour d'autres formes de fraude, l'intelligence artificielle est cruciale pour identifier et stopper le courtage fantôme. La capacité à repérer des liens entre des informations bancaires identiques ou des données de contact dans les polices d'assurance est essentielle. Les assureurs qui maîtrisent cette technique seront mieux équipés pour détecter en temps réel les demandes frauduleuses.
De l’IA pour les fraudeurs
Avec la disponibilité croissante des outils d'IA et d’IA générative, leur utilisation par des acteurs malveillants s’est imposée comme une évidence. Les avancées rapides dans ce domaine facilitent la création d'images et de documents convaincants pour des fraudes liées aux polices d'assurance ou aux sinistres. Les fraudeurs peuvent produire des photos de dommages importants ou manipuler des documents tels que des rapports de police et des factures. À première vue, ces faux documents sont difficiles à distinguer des authentiques.
Bien que certaines organisations tentent de faciliter l'identification des contenus générés par l'IA, cela ne suffira pas à résoudre le problème. Il existe une multitude de documents et d'images déjà en circulation, et de nouvelles technologies continueront d'émerger.
C'est ici que l'IA peut jouer un rôle clé dans la lutte contre la fraude numérique. Les capacités d'identification d'entités et de détection de réseaux peuvent être utilisées pour repérer des informations communes dans des documents manipulés, déclenchant ainsi des alertes sur des processus de souscription ou d'indemnisation suspects. De même, l'analyse d'images alimentée par l'IA peut rapidement identifier des anomalies, permettant de cibler les polices ou les demandes nécessitant un examen approfondi.
Conclusion
La révolution numérique a ouvert des perspectives inédites pour les assureurs, leur permettant d'adapter leurs activités aux besoins de leurs clients. L'adoption de modèles de commerce en ligne et l'accès à des services "partout et à tout moment" ont permis d’optimiser le processus. Cependant, la diminution des interactions humaines dans certaines transactions a également créé des opportunités pour des acteurs malveillants. Les outils numériques, qui ont facilité cette transformation, sont désormais utilisés contre le secteur pour commettre des fraudes. Néanmoins, les assureurs avertis ont compris ces nouveaux schémas et mettent en œuvre des solutions basées sur l'IA pour détecter et contrer la fraude numérique.